Le guitariste de Slint sait à quel point il peut être difficile de trouver son propre style et développer un son unique. Comme le dit David Pajo, les six heures de pratique journalière pendant son adolescente n’ont jamais été suffisantes. À 16 ans, il a quitté le lycée pour jouer de la musique tous les jours, du matin jusqu’au soir. À l’époque, c’était un instrumentiste qui se consacrait pleinement à sa passion.
Ses parents l’ont laissé faire tant qu’il fréquentait une école de musique. Fréquenter le Berklee College of Music de Boston, dans le Massachusetts, a contribué à élargir son vocabulaire musical mais a limité d’une certaine façon son ouverture d’esprit. En tant que « punk adolescent », Berklee était en effet un peu trop rigide pour lui, trop téléphoné, et cette expérience l’a fait réfléchir.
« J‘aime vraiment le blues de Delta; pour moi, ce sont des notes qui ne devraient pas se conjuguer ensemble dans ce fouillis géant. Je me souviens avoir vu des diplômés de Berklee interpréter ce type de morceau exactement de la même manière ». À croire que bien jouer de la guitare électrique ne signifie pas systématiquement être créatif et bon interprète.
« Ils étaient tous très bons. Ils savaient jouer ce genre de style jazzy. Mais en les écoutant, je me suis dit ne pas vouloir être formaté de cette manière ». Ils me semblaient n’exprimer rien d’autre que: « Regardez comme je sais jouer ce genre de musique, en plus je connais toutes ces gammes ! ».
« C’est alors que j’ai compris que la théorie musicale n’était pas pour moi. Je devais revoir mon propre itinéraire de musicien ».
Ce parcours l’a amené à jouer dans Slint, un groupe de rock indépendant particulièrement présent dans la région de Louisville, au Kentucky. Leur son s’articulait entre angoisse et espoir !
En 1989, l’album Tweez enregistré avec Steve Albini puis l’album Spiderland ont profondément influencé les deux décennies suivantes du rock alternatif.
« Ce que nous produisions avec Slint reflétait ce que j’étais vraiment, dit Pajo. J’aime vraiment le Delta Blues, car pour moi, c’est un mélange de blues, de gammes mineures et majeures. Avec Slint, nous avons consciemment essayé d’utiliser des gammes contradictoires pour voir ce qui se passait et voir si nous pouvions en tirer quelque chose, c’était un peu comme mélanger consonances tristes et joyeuses pour voir ce que cela donne ! »
David Pajo a depuis participé à toutes sortes de projets. Il a joué avec Yeah Yeah Yeahs, Will Oldham, Tortoise et plus encore. Son dernier album, A Broke Moon Rising, un enregistrement solo sous le nom de Papa M. C’est un concerto de guitare décalé qui, selon Pajo, peut être perçu comme une œuvre joyeuse si l’on se focalise du l’arrière-plan du morceau. C’est une espèce de tour de force des arrangements acoustiques, de flamenco déconstruit et du bittersweet Americana.
Comme le dit Pajo, « après le groupe Slint, je me suis souvenu de cet état d’esprit, et je pense que cela a eu un impact sur mes nouveaux albums dans le sens où j’ai essayé d’explorer ces idées de notes contradictoires. »
Voici cinq de ses conseils pour guitariste :
1. Ne faites pas de l’apprentissage de la théorie votre but
« Je pense que l’apprentissage de la théorie musicale est souvent surestimée, et si vous êtes destiné à l’apprendre, vous la découvrirez vous-même au fil du temps avec possibilité de revenir en arrière s’il vous manque des connaissances particulières »
Plus on pense à la théorie et moi on accorde de place à l’émotion.
«Vous avez beaucoup de temps pour l’apprendre. Au départ, lorsque vous apprenez la guitare et que vous écrivez des chansons, la théorie musicale peut devenir une sorte de cage qui limite la créativité. Pour moi, il n’est pas nécessaire de connaître la théorie musicale pour transmettre une émotion. Personnellement je pense avoir une compréhension basique et non poussée de la théorie musicale. Comme souvent, on ne connais pas le nom des choses, mais on les saisit, je comprends la relation entre les accords et les notes, c’est suffisant pour moi ».
2. Entrainez-vous en solo dans des gammes très différentes
« Que vous connaissiez ou non les termes techniques ce n’est pas ce qui importe le plus. Par contre, vous devriez pratiquer le solo dans différentes gammes et à tonalités différentes y compris celles qui ne vous sont pas familières. Vous pouvez également créer vos propres gammes ou partir de vos propres accords pour inventer vos gammes. Mettez-vous au défi, lancez-vous, essayer différentes choses au risque qu’elles ne sonnent pas toujours, quoi que soit le résultat, vous apprenez ! »
Il est important d’être différents des autres. Par exemple sur un plan techniquement, je ne pense pas que Thurston Moore soit un excellent guitariste, mais il m’a énormément influencé car j’adore son jeu de guitare. Cet adepte de la guitare préparée, jouait parfois de la guitare avec des baguettes de batterie, avec un marteau, avec une lime de fer sur Small Flowers Crack Concrete, un klaxon de vélo sur Lightnin ou encore une petite barre de fer sur Calming the Snake. Il ne s’agit pas pour autant de fondre dans des élucubrations à la Herman Li mais de rester dans une optique qui laisse place aux tentatives diverses d’innovation.
À un certain moment, nous devons apprendre autant que possible à propos de la guitare, mais je pense que désapprendre peut être une bonne voie à suivre. Comme ce genre de démarche est tellement anti-guitare en quelque sorte, cela force votre cerveau à réfléchir. Jouer d’un instrument sensiblement préparé ou en ayant revu l’accordage est une étape difficile. Au début, certains guitaristes ne peuvent tout simplement pas toucher leur instrument. Mais cela leur donne leur une autre approche et un son unique.
À un moment donné, vous devriez apprendre autant que possible à propos de la guitare, mais je pense que le désapprendre est aussi une bonne voie à suivre pour se différentier des autres musiciens.
3. Constituez-vous un stock de plans de qualité
« Un jour j’ai rencontré un guitariste de blues à Louisville, au Kentucky, où j’ai été élevé. C’était vieux guitariste de blues, un homme noir albinos appelé Smoketown Red, et il a dit que le meilleur conseil à donner aux guitaristes était de rassembler des plans musicaux de qualité, tels que des choses que vous savez impressionnantes ou qui fonctionnent bien. Vous devez les apprendre suffisamment pour, lorsque vous avez besoin, pouvoir les exploiter à votre guise. Et c’est vraiment une façon cool d’aborder la guitare, parce que j’ai l’impression d’avoir un stock de plans que je peux utiliser quand je suis désespéré ! Ou quand la mère de ma copine me dit : « Oh, vous êtes guitariste, jouez nous quelque chose ! » Je peux alors sortir quelque chose !
4. Inspirez-vous des meilleurs mais développez vôtre propre style
Rien ne sert de faire une imitation Black Sabbath ou de Velvet Underground. Car si vous êtes un clone de ces groupes, ce n’est ni excitant ni créatif. Vous pouvez par contre vous inspirer de ces groupes et les intégrer à votre propre langage musical pour en faire quelque chose de vraiment cool.
Lorsque j’ai entendu Holy Mountain du groupe Sleep pour la première fois, je me suis que ces gars-là sont des Black Sabbath! Mais ensuite, ils l’ont amené à un niveau différent et je pense qu’ils ont créé leur propre son à partir de cette imitation avec laquelle ils ont commencé. Maintenant, ce groupe a son propre son bien qu’il fasse référence à Black Sabbath.
Je pense qu’il n’y a rien de mal à copier l’ambiance de quelqu’un, à condition de se l’approprier, si vous n’êtes qu’une imitation, vous allez être oublié.
5. Il ne faut pas craindre de faire de mauvaises choses de temps en temps
Comme ce que je disais à propos des notes contradictoires, il est important d’essayer. Dans d’autres domaines cela peut sembler risqué, mais qu’importe, avec une guitare on ne fait de mal à personne !
Une mélodie peut être belle, elle peut être dissonante, elle peut être belle dans la dissonance, il est donc question d’évoquer l’émotion au risque que cela ne fonctionne pas systématiquement. Vous devez vous amuser avec la mélodie, avec l’émotion, et oublier parfois les règles.
N’accordez pas trop d’importance au succès, au regard des autres, l’important est de faire les choses avec précision et d’aimer le produit une fois fini. Si c’est une réussite pour vous, il y a fort à penser que d’autres aimerons et vous n’avez pas besoin de devenir viral pour avoir du succès.